Merdrignac : la belle Hélène ou la sobriété heureuse
La Belle Hélène

Il fallait s’y attendre. Les deux projections du film-documentaire « La belle Hélène » de Florence Dotin ont également fait salles combles au cinéma Le Studio à Merdrignac.

En août 2014, L’Hebdo d’Armor avait consacré sa Une à Hélène, une fidèle du festival des battages de Plumaugat. Cette petite dame voûtée par le poids de la vie, unique en son genre, n’avait pas son pareil pour faire revivre le temps d’une journée de fête, le dur métier oublié des lavandières au doué. Un métier qu’elle a exercé dès l’âge de 14 ans. Dix ans plus tard, Hélène sait toujours conquérir les cœurs et les personnes qu’elle rencontre. Sa voisine, Florence Dotin, jeune retraitée après une carrière à la télévision, en a même fait l’héroïne d’un film « La Belle Hélène »qui cartonne depuis un an. Plus de 6 000 spectateurs l’ont déjà vu, certains plusieurs fois tellement il incarne une ode à la vie, une ode à la joie.

Une vie en sepia

Dès les premières minutes du film, la belle Hélène nous embarque dans un passé suranné et sa vie en sepia. Elle ne triche pas Hélène, parle de la pauvreté sans honte et de l’entraide avec bonheur. Elle évoque les souvenirs d’enfance où les copines d’école lui donnaient « le midi, la sauce de leur boite de sardines à l’huile » alors qu’elle n’avait qu’un œuf à se mettre sous la dent. Raconte les pains de 12 livres à ramener du bourg à pied et « qu’on faisait rouler quand on en avait marre de les porter ». Salive quand elle repense aux « bricolins et saucisses qui cuisaient dans la marmite sur le feu de la cheminée ». S’émeut aussi quand elle relate la venue des Allemands dans le village lors de la Seconde Guerre Mondiale « ils volaient tout. Maman me disait de cacher la saucisse sous l’édredon. » Et tremble encore quand elle repense aux vaches qu’elle gardait le jeudi la fosse aux loups « j’avais peur que le loup vienne me voir à cause de ce nom ».

Sans filtre et sans chichi

Sans filtre qu’elle est – et qu’est-ce que ça fait du bien ! –  elle parle de sa vie simple, sans chichi ni jamais aucun loisir. Aller chercher l’eau au puits jusqu’à 25 ans, voir ses trois enfants naître à la maison « parce que c’était comme ça avant », sa passion du jardin et des fleurs, « la chance de vivre chez moi et pas en EHPAD où on s’ennuie », l’entourage qui veille sur elle comme le lait sur le feu, et l’entraide.

Ha l’entraide, c’est ce qu’elle préfère vénérable Hélène « c’est mon plus grand plaisir » dit-elle. Une vie sans entraide est pour elle une vie triste et impossible, elle explique d’ailleurs que c’est bel et bien l’entraide et le fait d’aider les autres qui l’a maintenue debout après la mort de son époux alors qu’elle avait 36 ans et la dépression qui a suivi.

Toutes ces tranches de vie racontées face au smartphone de Florence sont un pur délice. Car la réalisatrice est comme la star de son film, elle ne triche pas. Elle filme Hélène telle qu’elle est, sa maison dans laquelle elle vit à l’ancienne par choix, sa cheminée, son jardin, ses fleurs, son chat et même L’Hebdomadaire d’Armor posé sur le rebord d’une fenêtre. Là, on a notre petite fierté quand même !

Ses besoins ne sont pas les nôtres, Hélène vit de l’essentiel et pas du superflu, elle est bien ainsi et ne changerait rien à sa vie. Ses enfants ont bien essayé de l’équiper d’un téléphone portable mais elle ne s’en sert pas « pourquoi faire ? ». Quant au four micro-ondes, il lui sert de placard pour ranger des bocaux. Un hiver, Florence lui a ramené une paire de chaussettes chaudes pensant qu’elle pouvait avoir froid dans son logis chauffé au bois, elle ne les porte pas car elle n’a pas froid. Elle est comme ça Hélène.

Transmission et sobriété heureuse

Florence Dotin en a appris beaucoup depuis sa rencontre avec Hélène il y a plusieurs années. Tout d’abord que le mot patois voulait dire « parler avec ses pieds ». Un terme fort péjoratif inventé par l’État à l’heure où il voulait interdire les langues régionales… Nombreuses en effet sont les histoires locales où le gallo (et le breton) n’étaient plus parlés ni à la maison ni à l’école. Cette chape de plomb tombée, la transmission était rompue avec la langue, mais aussi avec la paysannerie de l’époque, jugée honteuse et surtout trop pauvre pour être digne. Hélène permet de renouer avec ce passé de nos campagnes. Face à l’engouement des jeunes à propos du film, Florence suggère encore et encore : « Le 4e âge, celui d’Hélène, est le témoin d’un monde qui n’existe plus. Faîtes les parler et raconter leurs souvenirs, ainsi ils resteront gravés à jamais. En ce qui me concerne, Hélène m’a lavé les yeux, je sais qu’elle représente la sobriété heureuse. Ne pensez-vous pas que là est la vraie richesse ? ».

La dernière projection avant la pause estivale est prévue le mardi 25 juin à 20h30 au cinéma de Saint Aubin du Cormier. Il n’y aura aucune diffusion en ligne du film afin de préserver Hélène.