Post Brexit: Les britanniques n’ont plus le droit de voter chez nous

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Après bien des rebondissements et tensions depuis le 1er référendum du 23 juin 2016, la Grande Bretagne a quitté l’Europe le 31 janvier dernier après 47 années de vie commune. Un divorce historique qui n’est pas du goût de tous les britanniques, et particulièrement de celles et ceux qui ont fait le choix de s’installer en Bretagne et de s’y intégrer via le monde du travail, la vie associative et/ou municipale.  Déçus et frustrés, certains vont même jusqu’à parler de « brex-shit » plutôt que de Brexit. Regards croisés.

La période de transition est en marche. Les ressortissants britanniques déjà installés en France au ou souhaitant s’y installer conservent leurs droits jusqu’au 31 décembre 2020 et ne sont pas tenus de détenir un titre de séjour avant le 1er juillet 2021. Mais à partir de cette date, ils devront demander la délivrance des titres de séjour portant la mention « Accord de retrait ». En revanche, ceux qui souhaitent s’établir en France après le 31 décembre 2020 devront obtenir un visa de long séjour puis déposer une demande de titre de séjour en préfecture. Une révolution pour les amis britanniques qui du jour au lendemain, relèvent désormais d’un « pays tiers ».

Désormais ressortissant d’un pays tiers

Valérie et Christopher Jones, installés depuis 30 ans en centre Bretagne, à Laurenan puis à Merdrignac, n’ont pas la double nationalité contrairement à leur fils né en France, il y a 24 ans. « Il a quand même fallu faire un dossier car ce n’est pas automatique. Thomas est donc français depuis août 2019, il pourra voter contrairement à nous qui ne pouvons plus voter nulle part » explique Valérie. Depuis 15 ans, le couple parfaitement intégré à la vie locale et associative –Valérie est bibliothécaire et Christopher producteur de légumes – avait fait le choix de ne plus voter en Grande Bretagne mais plutôt dans son pays d’accueil, aux municipales et aux Européennes, les seules élections ouvertes aux ressortissants étrangers. « Aujourd’hui, nous ne sommes considérés ni citoyens français, ni citoyens anglais, nous sommes devenus des ressortissants des pays tiers. Seul notre fils aura le droit de vote en France. »

Thomas, Valérie et Christopher Jones vivent en Bretagne depuis 30 ans. Ils résident à Merdrignac.

Pour pouvoir vivre et travailler ici, les Jones juste après le vote du référendum de juin 2016, s’étaient pourtant empressés de demander leur carte de séjour européenne. D’ici peu, ils devront l’échanger pour la fameuse carte de ressortissant de pays tiers. « Comme nous habitons légalement en France depuis plus de 5 ans, normalement elles seront renouvelées sans problème » poursuit le couple qui a été beaucoup questionné depuis par les amis et collègues. Ont-ils aujourd’hui moins envie de traverser le Channel ? Valérie est formelle : « Oui dans un sens car on a l’impression qu’on sera peut-être moins accepté. On a aussi moins envie de rendre visite à un pays qu’on pense devenu plus raciste qu’avant avec un gouvernement populiste  … Malgré tout, la famille est en Angleterre et c’est notre pays d’origine, donc nous y retournerons même si le vote original pour le Brexit été basé sur des mensonges et la peur. La presse la plus lue est très populiste, les gens croient ce qu’ils lisent ! Les gros titres sur le NHS (national Health service)  les migrants et autres tromperies ont fait basculer les votes (51,89% pour quitter l’Europe et 48,11 % pour y rester). »

Les merdrignaciens rappellent enfin que «  le parti conservateur de Boris Johnson a gagné les dernières élections en partie grâce à sa machine de communication et à l’ascension du vote populaire et populiste. On craint pour l’avenir du pays, son agriculture, sa pêche commerciale, ses travailleurs « ubérisés » ou pas … On pense que ce sera catastrophique pour la Grande Bretagne. »

Président d’association mais pas élu

Même son de cloche chez Norman Stanger à Lanrelas. Installé avec femme et enfants depuis 15 ans dans la petite commune proche de Broons, il se dit « fâché et déçu de ne plus pouvoir voter en France. J’ai toujours voté aux municipales et européennes pour donner du sens à l’avenir. J’ai aussi voté dans mon pays pour refuser la sortie de l’Europe » explique-t-il. Norman, président du comité des fêtes, est aussi le premier à avoir dit oui au maire Yves Lemoine, candidat aux municipales de mars prochain, pour figurer sur sa liste. Mais avec le Brexit, exit les britanniques dans les conseils municipaux !  « C’est tout simplement aberrant » avance le maire  qui pourtant voyait bien son voisin à ses côtés dans la vie municipale. « Outre la déception, il a fallu partir à la recherche d’un nouveau candidat au dernier moment, ce qui n’engendre pas un début de campagne serein. » Les Stanger aussi vont perdre leur titre de séjour européen permanent. Les enfants, nés outre Manche, n’ont pas la double nationalité. La famille se pose des questions. Qu’en sera-t’il de l’affiliation au régime à la sécurité sociale, des taxes foncières et d’habitation, des responsabilités liées à une présidence d’association ? Elle espère que rien ne changera tout en étant consciente que l’après Brexit pourrait freiner l’intégration des nouveaux arrivants sur le territoire…

A Mérillac, pas de nouveau mandat pour Ian

Ian est très impliqué dans la vie locale de Mérillac.

Né à Jersey avec une grand-mère Française, Ian Watts ne décolère pas depuis le 1er février, avec un sentiment de grande frustration. Comptable de profession, il a acheté une résidence secondaire à Mérillac en 1989 et s’y est installé définitivement en 2008, lorsque l’heure de la retraite a sonné. Dès cette année là, il a intégré l’équipe de foot locale puis a assuré bénévolement les entraînements à l’heure de la création de Melanvran. En 2014, sollicité par l’ancien maire, il a été élu conseiller municipal aux côtés de l’équipe de Claude Delahaye, qui voit en lui un « équipier de choix, disponible et volontaire ». Ian assure en effet nombre de traductions pour ses concitoyens moins à l’aise en Français, expliquant entre autre les règles de la vie municipale. Il contribue aussi largement à l’ambiance du Mérillac Bar, lors des animations du week-end, qui attirent indifféremment bretons et grand bretons. « Je suis Français dans mon cœur et aujourd’hui, je me sens comme un citoyen de seconde classe » tempête t’il. On comprend d’autant plus son sentiment, que les habitants des îles anglo normandes n’ont pas eu à donner leur avis  sur le Brexit. « C’est la position du Royaume Uni qui prime, OK je respecte la décision, mais cela ne devrait pas impacter ceux qui résident ici depuis longtemps ».  Sollicité pour un second mandat qu’il était prêt à assumer s’il était réélu, Ian ne peut donc plus se présenter, ni même donner son avis sur la vie locale. Claude Delahaye a été contraint de retrouver quelqu’un pour compléter sa liste. « Nous avons reçu un courrier de la préfecture, précise le maire, et je me dois de prévenir par écrit les douze électeurs britanniques de la commune qu’ils sont désormais déchus de leur droit de vote ». Une tâche peu agréable dont le maire se serait bien passé.

Au Mérillac Bar, Norman Lincoln, l’époux de Maryvonne née Eon, est dans la même situation, même s’il a épousé une française, dans la mesure où il n’a pas fait de papiers. Pour lui « le Brexit est la pire chose qui ait pu arriver, l’Angleterre est à 25 km de la France et de l’Europe et à plus de 3 000 km des Etats Unis, de fait nous sommes Européens.  ». Il regrette le fort taux d’abstention des jeunes Britanniques lors du référendum, ce qui a peut être contribué à ce résultat.

Norman est marié à Maryvonne de Mérillac.

A Langourla, Linda Gordon, qui achève son second mandat de conseillère municipale, est dans le même cas que Ian et Norman. A contrario, sa fille, Freya, qui est arrivée à Langourla avec sa famille, alors qu’elle était âgée de  5 ans, se sent plus bretonne que Française avec une intégration parfaitement réussie.

 

Freya Gordon,  symbole d’une intégration parfaitement réussie

La famille Gordon est arrivée à Langourla en janvier 2003, voilà 17 ans. Freya était alors âgée de 5 ans. Depuis que de chemin parcouru. Après une scolarité dans le Mené, puis à Pontivy, le tout couronné par l’obtention d’un bac L mention B, Freya a préparé et obtenu une licence en langue étrangères appliquées à Lorient. Elle s’oriente actuellement vers des études en ressources Humaines par la voie de l’alternance à la mairie de Ploemeur.

L’Hebdo d’Armor : Freya  as-tu la double nationalité ?

Freya Gordon : J’ai la double nationalité depuis avril 2019 que j’ai acquise par naturalisation. Je peux donc voter en France. Mes parents par contre ne l’ont pas, mais ils ont une carte de séjour qui leur permet de résider en France. Avant le 1er février, mes parents pouvaient voter aux élections municipales et européennes, mais ont donc maintenant perdu ce droit. Nous ne pouvons cependant pas voter au Royaume-Uni, car après 15 ans d’expatriation, les Britanniques perdent leur droit de vote, malgré le fait que mes parents paient des impôts là-bas !.

L’ HA : Qu’est ce que le Brexit change dans la vie quotidienne  de ta famille ?

FG : Pour l’instant, l’impact du Brexit sur le travail et la sécurité sociale n’est  pas tout à fait clair. Le plus gros changement sera pour mes frères, qui ont 20 ans : l’un est en études et l’autre travaille, tous les deux en Bretagne. Pour l’heure, aucun visa étudiant ou de travail ne leur a été demandé. Ils ont tous les deux fait une demande de naturalisation, comme moi, mais leurs dossiers sont toujours en cours. On ne peut qu’attendre la réponse !

L’HA : Ta maman est élue depuis combien de temps à Langourla ? Avait-elle l’intention de se représenter ? Sur quels dossiers communaux et associatifs s’est elle impliquée ?

FG : Son deuxième mandat se termine aux élections du mois de mars, donc 12 ans ! Elle se serait sans doute représentée si elle avait pu. Elle est très impliquée au niveau du fleurissement de la commune et fait partie de la commission espaces verts, mais au début de son premier mandat elle a aussi participé à la commission lotissement et éducation/enfance/jeunesse.

La famille Gordon est établie à Langourla depuis 2003.

 L’HA : Pensez-vous que le regard des personnes que vous côtoyez a changé depuis le 1er février ? Vous fait-on des remarques particulières ? Vous pose t-on des questions ?

FG : Les questions m’ont surtout été posées au moment du référendum : qu’allez-vous faire une fois que le Brexit aura lieu ? Est-ce que vous repartirez en Angleterre ? Avez-vous voté pour le Brexit ? etc. Mais le regard des gens n’a pas changé plus que ça depuis le 1er février. C’est plus de la curiosité. On nous demande beaucoup ce qu’on pense de tout ça.

L’HA :  Aurez-vous moins envie de retraverser le Channel ?

FG : En 17 ans j’ai eu l’occasion d’y retourner 4 ou 5 fois, pour des mariages principalement. La dernière fois, c’était en 2017. Je ne pense pas que le Brexit ait un grand impact sur la régularité de mes retours au Royaume-Uni.

L’HA : Un dernier commentaire ?

FG : Je me suis toujours sentie plus bretonne que grande-bretonne. C’est principalement pour cette raison que j’ai décidé de faire une demande de naturalisation. D’une part, je trouve que les Britanniques ne sont pas forcément conscients de toutes les répercussions du Brexit sur leur vie, surtout pour le voyage et le tourisme. Traverser la Manche était tellement facile, on pouvait même le faire en tant que piéton ! Mais maintenant on se demande s’il faudra un Visa à chaque fois qu’on voudra faire le voyage… Et d’autre part, les étudiants qui jusqu’ici profitaient du dispositif Erasmus seront aussi très touchés par le Brexit, que ce soit les Français souhaitant étudier au Royaume-Uni, ou les Britanniques souhaitant étudier au sein de l’Union Européenne. Etudier à l’étranger est une chance immense qui, à mon avis, devrait être vécue par tous les jeunes. C’est dommage que le Brexit ait affecté cette chance. Peut-être qu’il y aura des négociations pour remplacer l’Erasmus par un autre dispositif ?

 

Propos recueillis par la rédaction

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